La négociation d’un accord commercial entre l’AELE et le Mercosur a suscité de l’inquiétude quant aux impacts de l’accord sur la forêt amazonienne et les droits de ses habitants. D’autre droits humains, y compris pour la population Suisse, sont également en jeu.
Depuis l’annonce de la fin des négociations commerciales entre les pays de l’AELE (dont fait partie la Suisse, avec l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège) et ceux du Mercosur (regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay), beaucoup ont exprimé leur inquiétude quant à l’impact de cet accord sur la forêt amazonienne et les droits de ses habitants.
Mais cet accord suscite aussi d’autres préoccupations en matière de droits humains en Suisse.
Un accord en porte-à-faux avec les engagements de la Suisse
Parmi ses nombreux aspects qui méritent l’attention, mentionnons-en ici deux qui sont en porte-à-faux avec les engagements de la Suisse: la confidentialité des négociations et l’absence de considération des impacts de l’accord sur des secteurs autres que ceux ayant participé aux négociations.
Droit à l’information
Les droits à l’information et de participer sont des principes fondamentaux qui sous-tendent la plupart des droits humains. Or les négociations commerciales se déroulent généralement à huis clos, sans information publique sur les sujets en discussion. C’était le cas des négociations entre l’AELE et le Mercosur. Des sondages que nous avons effectués dans le cadre de notre étude sur les impacts sur les droits humains de cet accord confirment que la société civile n’a pas été consultée sur le contenu des négociations.
Même maintenant que les textes ont été adoptés, l’AELE et les négociateurs répondent par la négative aux demandes de pouvoir en prendre connaissance. Dans ces conditions, comment attirer l’attention des négociateurs sur d’éventuels risques pour les secteurs les moins en vue des pays concernés? Comment savoir si les nouveaux arrangements commerciaux sont susceptibles de favoriser les intérêts d’une diversité des parties prenantes?
Obligation de prendre des mesures en faveur des plus vulnérables
Un principe essentiel des droits humains, qui est souvent mal compris ou occulté, est le devoir qu’a tout Etat d’agir en faveur de la réalisation des droits humains. C’est une obligation juridiquement contraignante pour la Suisse tout comme pour d’autres pays. La Suisse doit ainsi «prendre des mesures délibérées, concrètes et axées sur des objectifs précis» pour réaliser les droits humains. Savoir si les mesures d’ordre commercial sont favorables pour les droits humains – et notamment les droits des personnes les plus défavorisées et marginalisées – suppose que la Suisse puisse anticiper les impacts attendus sur différentes parties de la population de l’accord AELE-Mercosur.
Le Conseil fédéral refuse les études d’impact sur les droits humains
Or, selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), on ne dispose pas de données globales concernant l’évolution possible des volumes commerciaux suite au pacte conclu avec le Mercosur. Une étude sur les impacts environnementaux, qui comprend aussi une modélisation des volumes de commerce probables dans le nouveau paysage commercial entre les deux blocs, a bien été mandatée. Mais le mandat a été octroyé au printemps 2019 et l’étude – dont les résultats sont par ailleurs discutables – a été finalisée presque un après la conclusion des négociations. Et le Conseil fédéral a refusé une étude d’impact sur les droits humains.
Critiques de l’ONU
On ne sait donc pas si les bénéfices attendus de l’accord pour les secteurs pharmaceutiques, des machines, des instruments médicaux ou des montres de luxe fourniront des avantages pour celles et ceux qui, en Suisse, ont le plus besoin d’opportunités économiques.
Est-ce que les emplois qui, selon Economiesuisse, seront créés grâce à cet accord offriront de nouvelles opportunités pour les personnes qui en ont le plus besoin en Suisse, dont les jeunes, les personnes peu qualifiées ou les personnes handicapées? Dans quelle mesure l’accord avec le Mercosur contribuera-t-il à la réalisation du plan de la Plateforme nationale contre la pauvreté 2019-2024? Est-ce que les économies citées de 180 millions de francs par an sont susceptibles d’être réparties de façon équitable, de façon non discriminatoire, ou finiront-elles chez les cadres de l’industrie pharmaceutique?
En l’absence d’une évaluation des impacts, il est impossible de répondre à ces questions.
La Suisse a déjà été épinglée pour ses manquements en matière de politique commerciale par le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels. Les questions posées ici retiendront sans doute une fois de plus l’attention du Comité lors de sa session du mois d’octobre 2019.
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