Nous faisons partie de la nature. C’est une banalité de l’affirmer ; il est donc stupéfiant que nous attribuions à la nature une valeur aussi inadéquate.
Nos systèmes de mesures économiques sont si déconnectés de notre réalité naturelle qu’ils nous permettent de doper le PNB par l’épuisement de l’écosystème dont nos vies dépendent. Les gouvernements amplifient les dommages à l’environnement en accordant des subventions plus importantes pour l’exploitation de la biosphère (5 milliards de milliards de francs par an au niveau mondial) que pour sa protection (68 milliards de francs par année).
On était déjà un peu conscients que nous vivons au-dessus des moyens que la nature nous accorde. Mais tant que le voisin prenait l’avion pour un weekend à Barcelone, pourquoi me serais-je privée de renouveler ma garde-robe ? La pandémie nous a mis brutalement face à la réalité : les pressions humaines sur la nature rendent vulnérables notre économie, nos sociétés et nos vies.
Rapport sur l’économie de la biodiversité
Dans ce contexte, la publication cette semaine du rapport d’une étude indépendante sur l’économie de la biodiversité* tombe à point. Cette étude, dirigée par Sir Partha Dasgupta, Professeur à l’Université de Cambridge, constitue un rappel de l’importance de la biodiversité, et un sérieux appel à agir.
A priori, le rapport de cette étude contient peu de choses que nous ne savions pas déjà. Ses 600 pages nous disent que la prospérité humaine est allée de pair avec une séparation croissante de la nature, qu’aujourd’hui la biodiversité décline plus rapidement qu’à tout autre moment de l’histoire de l’humanité, que la valeur de la nature pour la société est insuffisamment reflétée dans les prix du marché, que les coûts cachés de l’épuisement du capital naturel constituent une contrainte majeure pour la création de valeur à long terme, et qu’une défaillance institutionnelle profonde et généralisée est au cœur de ces problèmes.
Alors pourquoi espérer que ce rapport pourra amener les décisions et actions nécessaires, là où de précédentes initiatives ont échoué ?
Pourquoi ce rapport pourrait avoir un impact
D’abord, son timing. Il avait été prévu dès le départ de publier ce rapport début 2021, mais – on n’a pas envie de dire « par chance » – sa publication tombe pile au moment où les Etats cherchent comment reconstruire au mieux suite à la dévastation causée par le COVID. Les gouvernements, les investisseurs et les entreprises font preuve d’un regain d’intérêt pour les politiques qui assurent la résilience, la durabilité et la stabilité à long terme, et sont conscients des risques vitaux d’un déséquilibre entre la nature et les humains.
Ensuite, son origine. L’étude a été commandée par le Trésor (ministère des finances) britannique, et non par le ministère de l’environnement. Cela indique clairement que le public cible se compose des entités avec le plus de pouvoir d’agir : les ministères des finances et de l’économie, les banques et le monde des affaires. Le langage et les concepts du rapport le reflètent : ils sont ceux du monde économique. Le premier chapitre porte sur la gestion des actifs. Il utilise le terme « portefeuille » pour décrire les ressources naturelles à notre disposition. Nous avons un problème de gestion de portefeuille qu’il est urgent de régler, souligne le rapport. Le rôle de la biodiversité dans la gestion des actifs naturels est analogue au rôle joué par la diversité dans un portefeuille traditionnel d’actifs financiers : il réduit le risque et l’incertitude.
L’étude détaille les facteurs qui rendent difficile une application des sciences économiques à la biodiversité – par exemple que la nature est souvent mobile, invisible et silencieuse – et propose des moyens concrètement à disposition des économistes et des décideurs politiques pour intégrer la valeur de la nature dans les calculs économiques et financiers, modèles et équations économiques détaillés à la clef.
Enfin, cette étude suit la voie du rapport Stern de 2006,** qui a été déterminant pour la prise de conscience du risque climatique pour les entreprises et les marchés financiers. Cela laisse croire que le rapport Dasgupta aura la force nécessaire pour susciter un tournant dans la manière dont nous valorisons la biodiversité.
Si le rapport recèle quelques faiblesses au niveau de l’analyse juridique et des solutions institutionnelles qu’il propose, il a le mérite d’incorporer des idées à portée de chacun.e. Nous sommes toutes détentrices d’une partie du portefeuille nature. Par nos choix en matière d’investissement et de consommation, nous pouvons toutes et tous jouer un rôle pour améliorer sa gestion.
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